l’art de plumer
Savez-vous plumer du gibier ?
Lot quasi quotidien des fermières autrefois, qui sait aujourd’hui plumer une volaille, hormis
les chasseuses, ou plus fréquemment des femmes de chasseur- et des éleveuses de volaille.
Je ne sais si cela s’apprend dans les formations professionnelles de cuisinier. Je ne sais si les émissions de «cooking-reality» l’ont déjà au programme. Je ne sais si les chefs de la cuisine «New Nordic» en quête de produits authentiques, voire sauvages, mettent les mains dans la plume.
Je me suis dit que c’était un savoir qui pouvait s’avérer utile – qui sait ce que l’avenir nous réserve – et une expérience à faire, pour qui aime le gibier et les produits «bruts».
Sarcelles
Mais comment ? Pour éviter la vision d’un nuage d’un nuage de plume envahissant la cuisine et d’un pauvre oiseau écorché, j’ai donc cherché des conseils. Les livres de cuisine d’aujourd’hui ne sont d’aucun secours et je n’ai pas de traité d’éducation ménagère d’avant-guerre. J’ai juste réussi à collecter de succincts conseils de la grande tante du copain qui le fait régulièrement.
Il faut tirer la plume? A chaud, à froid ? Sec ou mouillé ? Comme dans la chanson de l’alouette, le bec? la tête, le cou ? les ailes ? Cette chanson est mensongère, on ne mangera ni bec, ni tête, ni queue, alors on ne les plumera pas, on les coupera. Il faut même commencer par ça, avant de plumer ces sarcelles mortes, mais encore si belles. Plumes mordorées et douces, courbe du bec orangé, fines pattes palmées. Beauté et fragilité. De quoi comprendre les végétariens.
Se rappeler aussi que jusqu’à récemment, tout ce que l’on mangeait à plumes ou à poils, en tout cas à la campagne, passait entre les mains de femmes – qui les avaient tués parfois avant. Comme les enfants, on préfère que l’on nous cache ces étapes.
Mais les oiseaux tués, ils faut les plumer.Prendre fermement le premier, commencer par rogner ces ailes qui permettent de voler, ses plumes caudales qui lui permettent de se diriger. Arracher par poignées floconneuses ces plumes qui l’habillent. Le plus difficile est encore après.. enlever les viscères, arracher un amas sombre entre rouge et bleu violacé, déliquescent sous la main. Je suis née dans une famille de pécheurs, non de chasseurs, et il me semble incomparablement plus facile de vider tout ce qui vient de mer ou de rivières. Apprêté pour cuire, vidé de ses entrailles, le poisson ou le poulpe se ressemble encore. J’ai cependant continué à plumer vider jusqu’au dernier, sans grand talent je crains. J’ai fait ce que je pouvais pour les rendre comestibles, j’ai rassemblé dans un grand sac, tout ce que j’avais arraché, enlevé, coupé. Je l’ai vite jeté. J’ai lavé, essuyé, nettoyé ces petits oiseaux un peu écorchés, tenter d’effacer toute tache de sang. Quelques duvets légers voletaient encore.
Je ne sais si cette expérience est à recommander à tout gourmet. Elle rappelle que manger carné n’est pas anodin, ce met délicat a été vivant, il a eu beaucoup de travail pour le rendre délicieux et désirable. Je rend grâce à ceux qui le font pour moi. Je considère avec plus d’attention encore cette chair dans mon assiette. Voilà ce que j’ai appris de ce cadeau d’ami chasseur.