Histoire et cuisine

Vendanges romaines

Je ne serai jamais arrivée là si…

En 1993, on m’a rapporté du mas des Tourelles, à côté de Beaucaire, deux flacons de vins «romain», une alchimie retrouvée par le travail, depuis 20 ans, de Jean-Pierre Brun et André Tchernia, chercheurs du CNRS, et Hervé Durand, vigneron-archéologue.
Un goût étrange et familier,  le mulsum doux et épicé, turriculae salé, sec et aux arômes de noix.
Mes cours de latin en dilettante, mes ballades le long de la voie domitienne dans ma région d’adoption et dans ces vignes qui étaient déjà à l’aube de notre ère, m’ont donné envie de chercher les recettes contemporaines de ces vins. Une recherche guidée, non par le cerveau mais par les papilles. Mais comment se régalaient les anciens dont on connaît le théâtre, les dieux, l’histoire, les glorieux édifices..mais finalement pas le pain quotidien, ou guère plus que le pain – et les oignons, et le fromage, nourriture du peuple et des soldats.
Alors j’ai commencé à chercher de Jean-Louis Flandrin à la traduction des recettes d’Appicius. Pas tant de choses au final.

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Sans complexe, je me suis mise aux fourneaux, approximativement, sans rechercher l’historicité du feu de bois et autres conditions d’époque…sans esclaves non plus.
Je n’avais aucun conseil ni préjugé, guidée juste par le plaisir de re-inventer, sur des traces approximatives, des mets qui furent aussi délectables qu’aujourd’hui un cassoulet ou un lièvre à la royale.
Et je réalise des années après, que ces aventuriers du goût qui avaient osé pour le vin, m’avaient autorisés à oser moi aussi à m’affranchir de livres et des règles pour cuisiner.
Je ne sais pas si ce fut un délice, ce fut juste un plaisir de concocter dans mes marmites des mélanges avec des herbes étranges finalement trouvées chez l’herboriste, de détourner le nuoc-man en garum, d’oser poivrer le sucré et aciduler le salé, de bouillir et braiser mon canard Apicius selon les instructions du premier auteur de livre de cuisine de notre ère, et de fièrement accueillir mes amis aventuriers du goût autour de ces plats déconcertants, mais savoureux après coup. Personne ne fut empoisonné, tous s’en rappellent encore aujourd’hui.
8 ans après, je suis finalement allée voir ces vendanges romaines au mas des Tourelles. Il y a les vignes, le pressoir en action et le vin à goûter, pas de cuisine. Mais les raisins dorés et le jus acidulé foulé au pied, m’ont tout à coup remis à l’esprit que tout ce que je fais aujourd’hui a commencé grâce à ça.
Ab ovo usque ad mala

Merci a mon homme qui a rapporté  il y a huit ans un mulsum du mas des Tourelles, merci à tous ceux qui ont osé, avec enthousiasme, suivre mes pérégrinations culinaires, merci au CFPJ qui m’a donné le déclic à le mettre en mots, en mai dernier.